Reconstitution du patrimoine culturel congolais 13 juin 2025

1. Introduction

Organisée par le Département de Restauration et Conservation des œuvres d’art, cette rencontre a réuni plusieurs spécialistes autour d’une réflexion sur la reconstitution du patrimoine congolais.

1.1. Intervenants :

  • Prof. Joseph Ibongo, docteur en histoire de l’art, directeur général honoraire de l’IMNC
  • Mit Makambu, conservatrice-restauratrice des œuvres d’art
  • Prof. Jean Damas Bwiza, docteur en philosophie politique et anthropologue

(Prisca Tankwey, cheffe de département peinture assurait la modération).

1.2. Mot d’introduction

La rencontre s’est ouverte par un mot du directeur général de l’Académie des beaux-arts de Kinshasa, le Professeur Henri Kalama Akulez, qui a rappelé l’importance du patrimoine comme héritage commun, soulignant le travail entrepris depuis 2013 par le département de Restauration et Conservation. Il a notamment évoqué l’extension des projets de sauvegarde du patrimoine à de nouveaux matériaux comme le papier, les archives et les œuvres picturales.
Le Professeur Henri Kalama Akulez a rappelé que le développement du département de Conservation-Restauration des œuvres d’art bénéficie de l’appui de plusieurs partenaires, dont Wallonie-Bruxelles, le MRAC (Africa Museum), La Cambre (qui joua un rôle important au lancement du département) et le Musée National de la République Démocratique du
Congo. Il a également évoqué le projet de création d’un Master de recherche en gestion du patrimoine culturel.

2. Définition des concepts de base

Différence entre restitution et reconstitution du patrimoine Le débat a mis en lumière deux concepts fondamentaux

  • La restitution

La restitution consiste à rendre un bien qui ne vous appartient pas. Dans le cas qui nous concerne, il s’agit de remettre aux communautés d’origine les biens culturels spoliés, qu’ils soient conservés dans des collections privées ou des institutions publiques étrangères.
Elle implique, dans cette perspective, la remise effective de tous les biens après réparation. Cela inclut, en dehors des œuvres d’art, des archives, notamment par le moyen de la digitalisation, ainsi que des restes humains. Ce processus requiert l’implication de chercheurs congolais et occidentaux et sous-entend le partage et la gestion commune de cette mémoire partagée.

  • La reconstitution, qui ne se limite pas à récupérer les objets, mais cherche à rétablir le patrimoine dans son ensemble, en intégrant sa valeur historique, sa signification culturelle et son impact sociétal.

Le Professeur Joseph Ibongo définit la reconstitution comme l’action de rassembler des objets culturels afin de combler les lacunes documentaires et de structurer le patrimoine dans un ensemble cohérent. Ces éléments seront ensuite intégrés, selon les cas, à l’IMNC, aux Archives nationales ou à la Bibliothèque nationale. Il souligne également la nécessité de prévoir des lieux de mémoire, notamment pour les restes humains.

3. Les enjeux de la restitution du patrimoine

3.1. Les étapes fondamentales de la restitution du patrimoine

Le prof. Ibongo a brièvement abordé les étapes de la restitution :

  • Identification des objets patrimoniaux
    L’identification est essentielle pour la restitution et la conservation du patrimoine. Elle permet de
    • Déterminer l’origine, la fonction et l’appartenance d’un objet • Retrouver des œuvres congolaises dispersées
    • Établir des inventaires grâce aux institutions de conservation
    Ce travail de classification est une base indispensable pour le rapatriement et la valorisation du patrimoine congolais.
  • Inventaire du patrimoine
    L’inventaire permet de recenser et documenter les biens matériels et immatériels appartenant à la RDC, assurant leur gestion et conservation au sein des institutions culturelles.
  • Cession
    La cession est l’acte juridique par lequel une personne ou une institution transfère la propriété d’un bien ou d’un droit.
    Dans ce contexte, un collectionneur privé italien âgé de 94 ans a cédé plusieurs œuvres en sa possession à des amis des musées, en signant un acte de cession officialisant leur transfert.
    Cette démarche permet aux institutions culturelles d’intégrer ces œuvres dans leurs collections, contribuant ainsi à leur préservation et leur valorisation.
  • Rapatriement : ce mot désigne le retour organisé vers le lieu d’origine.
  • Réappropriation :

La réappropriation désigne l’acte par lequel une communauté ou une institution reprend possession d’un bien. Ce processus entraîne un changement sémantique, redéfinissant l’objet dans un nouveau contexte culturel ou identitaire.
Dans le cas du patrimoine congolais, la réappropriation concerne des œuvres et artefacts autrefois perdus pour la RDC. Ce retour symbolique permet de redonner aux objets leur signification originelle, les intégrant à nouveau dans le tissu culturel et historique du pays.

  • Sensibilisation
    La sensibilisation est une action visant à conscientiser le public, en particulier la jeunesse et les communautés, sur un sujet dont l’intérêt était auparavant limité ou inexistant.
    Elle joue un rôle essentiel dans l’éducation des peuples, en facilitant certains apprentissages et en encourageant les artistes à s’engager pour la préservation et la transmission culturelle.
  • Intégration :

L’intégration vise à insérer un élément dans un système afin qu’il soit pleinement assimilé et valorisé. Dans le contexte patrimonial, cela signifie inclure les objets, concepts ou savoirs dans la société, notamment à travers le système éducatif.
Ce processus permet de sensibiliser la population, d’enrichir la formation des étudiants, et de garantir que le patrimoine culturel joue un rôle actif dans la transmission des connaissances et la construction identitaire.
3.2. Les défis et perspectives

Selon le Professeur Jean Damas Bwiza, il est impératif de reconstituer le patrimoine avant même de parler de restitution. Il situe cette action à deux niveaux
• Premier niveau : interne. Stabiliser les biens déjà présents en RDC, souvent éparpillés, mal conservés et menacés de détérioration définitive. Ce travail doit notamment être mené au sein de l’IMNC.
• Deuxième niveau : restitution. Identifier et récupérer les objets détenus illégalement. Certains sont conservés dans des collections privées, et il est essentiel d’en retracer l’acquisition afin de comprendre comment ils ont été obtenus.
Il a souligné la difficulté d’entrer en possession des objets congolais, en raison des protections légales mises en place en Occident. Ces objets sont souvent considérés comme inaliénables dans le patrimoine des pays où ils se trouvent.
La restitution soulève ainsi des questions de droit international, mais aussi de justice, ce qui mène au débat sur la réparation, une notion souvent évitée par l’Occident, mais qui reste essentielle pour les pays africains, notamment la RDC.
Il a également évoqué l’attitude des anciennes puissances coloniales, qui agissent comme si la restitution des objets africains relevait de leur générosité, plutôt que d’une obligation historique. Enfin, il a rappelé la responsabilité du Congo dans l’organisation de la conservation, de la restauration et des aspects logistiques liés à la restitution. Selon lui, le rôle de la Commission Nationale de Rapatriement des Biens Culturels, des Archives et des Restes des Corps Humains soustraits du Patrimoine Culturel Congolais (CNR/PCC) dont il fait partie est avant tout technique, visant à accompagner les autorités politiques dans leur prise de décision, puis à en assurer le suivi.
Le Prof. Ibongo, coordonnateur national de la Commission de rapatriement, a soulevé une question essentielle : Une fois les objets restitués, que compte-t-on en faire ? Où seront-ils conservés et dans quel état ? Il a insisté sur l’importance d’une gestion rigoureuse pour éviter que ces biens ne disparaissent à nouveau.

Madame Mit Makambu a insisté sur les deux dimensions du processus

  • Physique : Conserver et restaurer les œuvres, former des spécialistes et réintégrer les objets dans des espaces adaptés
  • Spirituelle : Redonner aux objets leur signification originelle, leur place culturelle, et sensibiliser les populations à leur importance
    Madame Makambu a situé l’importance de la reconstitution du patrimoine dans la re-création de l’histoire nationale. À cet effet, elle a souligné l’intérêt de la formation des citoyens aux métiers de la conservation et de la restauration, ainsi qu’aux questions plus larges du patrimoine.
    Elle a évoqué la nécessité de la réintégration spirituelle des œuvres, soulignant que la reconstitution est un acte par lequel l’objet retrouve sa place originelle, inscrivant ainsi cette démarche dans une quête de sens. Pour illustrer son propos, elle mobilise la notion d’ »espace de l’œuvre », qui exprime l’idée que chaque bien culturel a un cadre et une signification propre.
    La restitution, selon elle, consiste à remettre à sa place une partie manquante, à restaurer l’objet dans son état initial, et à lui rendre sa sacralité lorsqu’il s’agit d’un bien ayant une fonction sacrée ou cultuelle.
    Célia, spécialisée dans l’étude de provenance des œuvres en Belgique, a expliqué dans une vidéo préenregistrée et diffusée lors de la présentation, les difficultés liées à la restitution, notamment les lacunes documentaires qui empêchent parfois d’établir l’origine précise des objets.

Selon Prisca Tankwey, ces « pièces orphelines » , sans historique complet, compliquent la restitution.
Le Prof. Ibongo a également mis en garde contre la longueur du processus, notamment à travers les études de provenance qui, bien que nécessaires, pourraient constituer un obstacle à la restitution rapide. Il appelle à une coopération scientifique entre chercheurs congolais et étrangers pour combler ces « vides » au sein des collections nationales.

4. Débats et échanges avec le public

Nous regroupons ici quelques questions par thèmes

4.1. La place des peintres africanistes dans la réappropriation de notre mémoire collective

Patrick Tankama, plasticien et chercheur en art, a abordé la question de la place des peintres africanistes dans la construction de la mémoire coloniale et l’importance de la numérisation des tableaux. Il a souligné que leur exploitation pédagogique pourrait profiter aux étudiants, chercheurs, mais aussi plus largement aux populations congolaises. Il a également évoqué la circulation des œuvres à travers des expositions et des prêts aux institutions muséales congolaises, contribuant ainsi à leur réappropriation culturelle.

Le Professeur Jean Damas Bwiza a insisté sur le fait que ces œuvres ne sont pas concernées par la restitution, puisque leurs commanditaires étaient occidentaux et que leur production a été réalisée avec des financements étrangers.
À cela, Patrick Tankama a répondu en acquiesçant, tout en soulignant que la question ne porte pas uniquement sur la propriété des œuvres, mais sur la mémoire partagée qu’elles incarnent. Il a mis en avant leur importance dans la construction de notre « mémoire visuelle », rappelant que nos ancêtres ne nous ont pas laissé d’images représentant les paysages et les peuples de cette époque.
Le Professeur Joseph Ibongo a renchéri en expliquant que l’un des principaux intérêts de la peinture africaniste est de nous confronter au regard colonial. Il a précisé que ces œuvres permettent aux Congolais d’aujourd’hui de se voir comme ils ont été vus, avec la possibilité de déceler les biais coloniaux et d’engager une déconstruction critique. Selon lui, c’est cette démarche qui confère aux peintures africanistes leur intérêt épistémologique, au-delà de leur simple valeur esthétique.

4.2. Comment comprendre la « restitution d’un objet à sa dimension sacrale originelle »

Madame Makambu a situé l’importance de la reconstitution du patrimoine dans la re-création de l’histoire nationale. À cet effet, elle a souligné l’intérêt de la formation des citoyens aux métiers de la conservation et de la restauration, ainsi qu’aux questions plus larges du patrimoine.
Elle a évoqué la nécessité de la réintégration spirituelle des œuvres, soulignant que la reconstitution est un acte par lequel l’objet retrouve sa place originelle, inscrivant ainsi cette démarche dans une quête de sens. Pour illustrer son propos, elle mobilise la notion d’ »espace de l’œuvre », qui exprime l’idée que chaque bien culturel a un cadre et une signification propre.
La restitution, selon elle, consiste à remettre à sa place une partie manquante, à restaurer l’objet dans son état initial, et à lui rendre sa sacralité lorsqu’il s’agit d’un bien ayant une fonction sacrée ou cultuelle. Enfin, elle souligne que la reconstitution implique aussi une réflexion sur l’existant : comment organiser ce que nous possédons déjà de manière à lui donner du sens et à le valoriser pleinement.

Patrick Tankama souligna également, au profit de l’assistance, que réduire les objets africains à leur seule valeur utilitaire, en l’occurrence leur sacralité, présente le danger de ne pas mettre en lumière leur dimension plastique. Il évoqua l’exemple de la Pietà de Michel-Ange dans la
Chapelle Sixtine et démontra qu’un objet peut à la fois relever de l’esthétique et d’une fonctionnalité pratique ou religieuse. Par ailleurs, présenter les œuvres africaines uniquement sous leur aspect fonctionnel pourrait paradoxalement confirmer le biais occidental qui a conduit, à une époque, à nier l’intérêt que ces objets pouvaient encore avoir en Afrique, puisque les lieux et les cultes leur donnant toute leur importance n’existent plus ou sont en voie de disparition.
(On connaît tous cet argument qui peut aller jusqu’à considérer que c’est l’institution du musée en Occident qui est à l’origine de la révélation des qualités artistiques des œuvres, lesquelles ne possédaient auparavant qu’une valeur implicite. Ce qui témoignerait d’une grave méconnaissance des mots désignant, en Afrique, soit la perfection technique, soit les émotions que suscite une forme belle ou singulière, notamment chez les artistes traditionnels).

4.3. A quand la rétrocession ? La RDC est-elle prête ?

La question de la restitution effective des objets du patrimoine congolais est un sujet récurrent, souvent accompagné d’interrogations sur les actions concrètes du gouvernement dans ce domaine.
Le Professeur Jean Damas Bwiza a répondu en précisant qu’il ne pouvait pas s’exprimer au nom du gouvernement. Il a rappelé que le rôle de la commission dont il fait partie est avant tout technique, visant à mener à bien le processus de restitution et à conseiller le ministère de la Culture et du Patrimoine.
Il estime que si l’action actuellement menée aboutit à un transfert de propriété, c’est-à-dire à une reconnaissance officielle des objets conservés dans les collections occidentales comme appartenant au Congo, ce serait déjà une première victoire. Selon lui, le reste pourra être mis en place progressivement, au fur et à mesure des avancées diplomatiques et logistiques.

5. Mot de clôture du Directeur de l’Académie des Beaux-Arts

En clôturant la session, Prof. Henri Kalama a invité les étudiants de la classe transversale, qui viennent d’intégrer l’Académie, à s’intéresser au département de Conservation et Restauration. Il a encouragé ces jeunes artistes à explorer cette discipline, soulignant que certains pourraient y découvrir leur vocation.
La rencontre a mis en lumière la nécessité d’un engagement collectif, alliant scientifiques, artistes et décideurs, pour assurer la pérennité du patrimoine congolais, tout en réaffirmant son rôle identitaire et culturel.

Fait à Kinshasa, vendredi, 13 juin 2025

Patrick Tankama
Artiste plasticien, chercheur en art

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